dimanche 26 novembre 2017

Alix (tome 5) : "La Griffe noire" (Casterman ; septembre 1959)

"La Griffe noire" est le cinquième tome de la série créée par le Français Jacques Martin (1921-2010) en 1948. Cette histoire est d'abord prépubliée dans l'édition belge du "Journal de Tintin", entre décembre 1957 et février 1959. Le Lombard attendra 1959 avant de rééditer ces pages en album, qui est le dernier de la série à sortir chez cette maison. En effet, Casterman reprend "Alix" à Le Lombard en 1965 et réédite les cinq premiers albums progressivement (1965 pour "La Griffe noire". Cette bande dessinée compte soixante-deux planches. 
Martin est également célèbre pour d'autres séries, telles que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est hélas diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le dessin à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.

À l'issue du tome précédent, Zür-Bakal est assiégée par les loyalistes. Arbacès retient Enak en otage. Alix parvient à le libérer. Les soldats d'Oribal entrent dans la cité. Arbacès fait céder le barrage, mais meurt sous des chutes de pierres. Un éboulis bloque le flux des eaux. Oribal monte enfin sur le trône.
Pompéi, à l'ombre du Vésuve, là où tout n'est que volupté, harmonie, douceur, splendeur et raffinement. C'est la nuit. Une ombre traverse prudemment le jardin d'une luxueuse demeure. Arrivée à la rotonde, elle en escalade l'une des colonnes et se hisse jusqu'à une galerie, d'où elle s'agrippe à une corniche. En suivant celle-ci, elle parvient à une fenêtre et entre dans la chambre à coucher du maître de céans. Elle s'approche du lit dans lequel il dort, mais heurte un tabouret. L'homme, tiré de son sommeil, se retourne, et voit une silhouette masquée qui se tient à un pas. Il n'a que le temps d'appeler au secours. La maisonnée est réveillée et les serviteurs accourent, des lampes à la main. Ils aperçoivent leur maître en haut de l'escalier principal. Il demande à nouveau de l'aide, puis son corps se raidit soudainement, et il bascule vers l'avant. Son épouse arrive. L'agresseur reprend le même chemin puis quitte le jardin en courant.
Une heure plus tard, un médecin est au chevet de la victime, le sénateur Flavius. Ce dernier est entièrement paralysé, mais il est vivant. Le soigneur avoue son impuissance, et estime que c'est sans doute un cauchemar qui a déclenché cet état.
Le lendemain, trois de ses amis et anciens compagnons d'armes sont venus lui rendre visite. L'un d'eux se refuse à croire que c'est un cauchemar qui a pu plonger son ami dans un tel état. Il a remarqué que le regard de Flavius était empli d'épouvante...

Martin construit une histoire sur un scénario qui comprend deux parties, chacune correspondant à une moitié d'album à une ou deux planches près. La première est une enquête policière agrémentée d'éléments fantastiques. Se déroulant à Pompéi, elle repose sur un implacable projet de vengeance, motivé par ce que l'on pourrait qualifier de crime contre l'humanité (avec la bénédiction de Rome), résultant d'une terrible succession de quiproquos. Cette partie est réussie, malgré une narration touffue et bien que l'antagoniste d'Alix, un prêtre (presque caricatural) disposant de pouvoirs hypnotiques, fasse regretter Arbacès le Grec. La seconde est une quête qui pousse Alix et ses compagnons à s'enfoncer dans les terres inconnues d'Afrique. Martin, cherchant peut-être à s'émanciper d'Hergé (1907-1983) ou d'Edgar P. Jacobs (1904-1987), a-t-il lorgné sur la bande dessinée américaine en faisant marcher Alix sur les traces de Tarzan ? Rien n'est moins sûr, même si notre héros fait face à un gorille, à un python, échappe aux crocodiles, et affronte les tribus autochtones. Ce récit présente une invraisemblance majeure : les victimes des empoisonnements survivent des semaines, des mois, sans séquelles apparentes, le temps qu'Alix aille chercher l'antidote en Afrique ; peu crédible. Graphiquement, le trait de Martin continue à évoluer et à se détacher de l'influence de ses mentors, mais la maturité n'est pas encore arrivée. Le dessinateur émerveille de par son sens du détail et par le soin apporté aux personnages, aux paysages, et aux animaux (surtout exotiques).

"La Griffe noire" est une semi-déception. L'intrigue de la première partie est plutôt réussie et prometteuse, en dépit d'un adversaire peu charismatique. La seconde partie traîne et finit par susciter une certaine lassitude, malgré une fin inattendue.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

4 commentaires:

  1. Présence01 décembre

    J'aime bien la manière dont ta succession d'articles fait apparaître que la progression de Jacques Martin dans son art n'est pas linéaire. Cela réinsuffle une forme de vie dans une œuvre qui a été canonisé par le temps passé, comme si elle était devenue immuable et d'un seul bloc.

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    1. Merci ! Ce mois-ci, je m'arrête là avec "Alix", notamment parce qu'il y aura cinq ou six ans d'écart entre cet album et le tome suivant. Entre-temps, il y aura "Lefrancq" ; le sixième tome bénéficiera de tout ce que Martin aura fait durant ces cinq ou six années.

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  2. Présence04 décembre

    Ta réponse m'a intrigué car je ne m'étais jamais posé la question du rythme de parution. L'entrée de wikipedia consacrée à Alix indique qu'il y a eu une interruption de 2 ou 3 ans entre la parution de ce tome-ci en prépublication dans le journal de Tintin (1957-1959) et celle du suivant (1962-1963). Si j'ai bien lu, le décalage de parution en album (1959 pour le 5 et 1965 pour le 6) est dû à l'interruption de publication par le Lombard, et le délai avant la reprise par Casterman.

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    1. Il n'y aurait donc eu que trois années entre les deux, alors.
      Quoi qu'il en soit, la différence de maturité entre les deux albums est impressionnante.
      Je te remercie de cette précision.

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